Brèves juridiques

L'affaire Royal Antwerp

 

Le cabinet revient sur la décision C-680/21 rendue le 21 décembre 2023 par la Cour de Justice de l'Union Européenne ("CJUE") dans l'affaire dite "Royal Antwerp". 

 

 

Les faits


Depuis le 21 avril 2005, les règles de l’UEFA prévoient que les clubs de football professionnel qui participent à ses compétitions internationales interclubs doivent inscrire sur la feuille de match 25 joueurs au maximum, dont 8 au minimum doivent être des « joueurs formés localement » ("JFL"), c’est-à-dire des joueurs qui, indépendamment de leur nationalité, ont été formés pendant au moins trois ans par leur club ou par un autre club affilié à la même association nationale de football, au moins 4 de ces 8 joueurs devant avoir été formés par le club qui les inscrit.

 

En 2011 l’Union royale belge des sociétés de football association ASBL ("URBSFA"), affiliée à l’UEFA, a adopté une règle similaire selon laquelle les JFL sont des joueurs qui, indépendamment de leur nationalité, ont été formés pendant au moins trois ans par un club belge.

 

La procédure en Belgique

 

Le 13 février 2020, estimant que les règles relatives aux JFL sont contraires aux articles 45 et 101 du TFUE, relatifs respectivement à la libre circulation des travailleurs et aux ententes anticoncurrentielles, le Royal Antwerp et un de ses joueurs ayant les nationalités israélienne et belge ont saisi la Cour Belge d’Arbitrage pour le Sport ("CBAS") d’une demande d’indemnisation du dommage causé par ces règles. La CBAS ayant rejeté ces demandes le 10 juillet 2020, les demandeurs ont saisi le tribunal de première instance francophone de Bruxelles d’un recours en annulation de la sentence arbitrale, le 1er septembre 2020.

 

C’est dans ce contexte que ce tribunal a transmis plusieurs questions préjudicielles à la Cour de Justice d’ l’Union Européenne ("CJUE").

 

Restrictions de concurrence

 

L’article 101 du TFUE est applicable aux associations ayant pour but statutaire l’organisation et le contrôle d’un sport donné, dans la mesure où ces entités exercent une activité économique en rapport avec ce sport (arrêt C‑49/07, 1er juillet 2008, MOTOE).

 

Il faut néanmoins distinguer selon que le comportement en cause a pour objet ou seulement pour effet de restreindre la concurrence. Dans le premier cas, il ne peut bénéficier d’aucune exemption. Dans le second, ce comportement peut ne pas relever de l’article 101 du TFUE s’il est justifié par la poursuite d’un objectif légitime d’intérêt général dénué, en soi, de caractère anticoncurrentiel, que les moyens mis en œuvre pour l’atteindre sont nécessaires à cette fin et que ces moyens n’éliminent pas toute concurrence (arrêt C‑1/12 du 28 février 2013, OTOC).

 

Libre circulation des travailleurs

 

En vertu de l’article 45 du TFUE, la libre circulation des travailleurs est assurée au sein de l’Union. Les footballeurs professionnels sont considérés comme des travailleurs au sens de ce texte (arrêt C‑415/93 du 15 décembre 1995, Bosman).

 

Une restriction à la libre circulation des travailleurs peut néanmoins être admise, notamment si elle répond à une raison impérieuse d’intérêt général et si elle respecte le principe de proportionnalité, c’est-à-dire qu’elle est propre à garantir, d’une manière cohérente et systématique, la réalisation de l’objectif poursuivi sans aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (arrêt C‑415/93 du 15 décembre 1995, Bosman).

 

A cet égard, l’objectif d’encourager le recrutement et la formation des jeunes joueurs est considéré comme légitime (même arrêt).

 

La décision de la CJUE

 

Dans sa décision C-680/21 du 21 décembre 2023, la CJUE a jugé que les règles en cause paraissent limiter ou contrôler un des paramètres essentiels de la concurrence : le recrutement de joueurs de talent, susceptibles de permettre à leur équipe de l’emporter lors de matchs, et sont donc de nature à avoir une incidence sur la concurrence, sauf s’il est démontré qu’elles ont seulement un effet (et non un objet) anticoncurrentiel.

 

En outre la Cour a jugé que ces règles sont susceptibles d’engendrer une discrimination indirecte fondée sur la nationalité au détriment de joueurs provenant d’un autre État membre que la Belgique et portent donc à première vue atteinte à la liberté de circulation des travailleurs, sauf s’il est démontré qu’elles répondent à une raison impérieuse d’intérêt général et sont proportionnées.

 

Les conséquences

 

Le débat va désormais se poursuivre devant le tribunal de première instance francophone de Bruxelles.

 

L’UEFA et l’URBSFA devront y démontrer, d’une part, “au moyen d’arguments et d’éléments de preuve convaincants” que les règles relatives aux JFL sont à la fois justifiées par la poursuite d’un ou de plusieurs objectifs légitimes et strictement nécessaires à cette fin et, d’autre part, qu’elles “sont aptes à garantir, de façon cohérente et systématique, la réalisation de l’objectif consistant à encourager, au niveau local, le recrutement et la formation des jeunes joueurs de football professionnel”, sans aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

 

A défaut, ces règles seront considérées comme anticoncurrentielles et/ou attentatoires à la libre circulation des travailleurs au sein de l’Union.