Brèves juridiques

L'affaire Super Ligue

 

Le cabinet analyse la décision C-333/21 rendue le 21 décembre 2023 par la Cour de Justice de l'Union Européenne ("CJUE") dans l'affaire dite "Super League". 

 

 

Les faits
 

Le 18 avril 2021, 12 puissants clubs de football européens ont annoncé la création d'une ligue privée semi-fermée, concurrente de la Ligue des champions de l’UEFA : l’European Super League.
 

Sous la pression notamment de l’UEFA et de la FIFA, 9 de ces 12 clubs se sont retirés du projet entre le 20 et le 21 avril 2021.
 

En effet, les articles 49 à 51 des statuts de l’UEFA lui confèrent un monopole quant à l’organisation des compétitions internationales de football professionnel en Europe et la capacité d’interdire que de telles compétitions soient organisées sans son autorisation préalable. Le 7 mai 2021, elle a donc sanctionné les clubs dissidents.

La procédure en Espagne

L’European Super League Company ("ESLC") est une société de droit espagnol ayant pour objet d’organiser la future European Super League ("ESL").
 

Considérant que le comportement de la FIFA et de l’UEFA était incompatible avec les articles 101 et 102 du TFUE (interdisant respectivement les ententes anticoncurrentielles et les abus de position dominante), l’ESLC a saisi en référé le Tribunal de commerce de Madrid.
 

Le 20 avril 2021, le Tribunal de commerce de Madrid a ordonné des mesures conservatoires visant à empêcher la FIFA et l’UEFA d’empêcher la préparation de l’ESL et a transmis plusieurs questions préjudicielles à la CJUE.

Modèle sportif européen
 

Selon l’article 165 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne ("TFUE"), les objectifs de l’action de l’Union Européenne visent à “développer la dimension européenne du sport, en promouvant l’équité et l’ouverture dans les compétitions sportives et la coopération entre les organismes responsables du sport, ainsi qu’en protégeant l’intégrité physique et morale des sportifs”.
 

Cet article marque une reconnaissance du modèle sportif européen, caractérisé notamment par son objectif de promouvoir des compétitions ouvertes, reposant sur le mérite sportif. Il en résulte une spécificité du sport en Europe, notamment dans le cadre de l’application du droit de la concurrence (Rapport de la Commission au Conseil européen du 10 décembre 1999).

Concurrence et sport en Europe

Néanmoins, le sport constitue également un domaine dans lequel s’exerce une activité économique significative (arrêt C-81/12 du 25 avril 2013, Asociatia Accept). L’article 165 du TFUE ne suffit donc pas à écarter totalement l’application de ses articles 101 et 102 mais est susceptible de justifier, notamment, des restrictions de concurrence.
 

Ainsi, des fédérations sportives peuvent refuser l’accès au marché à des tiers, sans que cela constitue une violation des articles 101 et 102 du TFUE, sous deux conditions : que ce refus soit justifié par des objectifs légitimes et que les mesures prises par ces fédérations soient proportionnées par rapport auxdits objectifs.


L'avis de l'avocat général

Les questions posées à la CJUE portent notamment sur la compatibilité du système d’autorisation préalable et des menaces de sanctions de la FIFA et de l’UEFA envers les clubs de l’ESL, eu égard notamment à leur effet dissuasif, avec les articles 101 et 102 du TFUE.
 

Par avis du 15 décembre 2022, l’avocat général Athanasios RANTOS a estimé que les effets restrictifs de concurrence découlant du système d’autorisation préalable paraissent proportionnés pour atteindre les objectifs légitimes poursuivis par l’UEFA et la FIFA, liés à la spécificité du modèle sportif européen, et que les menaces de sanctions à l’encontre des clubs de l’ESL sont compatibles avec les articles 101 et 102 du TFUE, seules les sanctions visant les joueurs étant disproportionnées.

La décision 
 

Dans sa décision C-333/21 du 21 décembre 2023, la CJUE a jugé, allant contre l’avis de l’avocat général, que le système d’autorisation préalable mis en place par la FIFA et l’UEFA, interdisant à des clubs et des joueurs de participer à des compétitions interclubs concurrentes de celles qu’elles organisent est contraire au droit de l’Union et à la liberté de service.
 

La Cour a également considéré que la FIFA et l’UEFA abusent de leur position dominante sur le marché.
 

La Cour a précisé que sa décision ne signifie pas que l’ESL, en tant que telle, doit être approuvée. Cet arrêt constitue néanmoins un bouleversement et ouvre la voie à l’organisation de nouvelles compétitions européennes.