Brèves juridiques

L'affiche de Roland Garros 2024

 

Le cabinet examine la question de l'intelligence artificielle au regard des droits d'auteur dans le domaine sportif, à travers l'exemple de l'affiche de Roland Garros 2024. 

 

 

Les faits

 

Chaque année, depuis 1980, la Fédération Française de Tennis ("FFT") choisit, à travers un comité de sélection, un artiste pour réaliser l’affiche du tournoi de Roland-Garros.

 

L’affiche de la 45ème édition du tournoi a été dévoilée le 20 décembre 2023, le comité de sélection ayant retenu la proposition du photographe Paul Rousteau. Ce choix a rapidement donné lieu à débats, l’artiste ayant eu recours à l’intelligence artificielle, en l’occurrence MidJourney, pour réaliser cette affiche au style impressionniste.

 

L’occasion de nous interroger sur le statut des œuvres générées par ou avec une intelligence artificielle, au regard du droit d’auteur.

 

La protection d'une oeuvre

 

En France, le Code de la Propriété Intellectuelle ("CPI") protège “les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit” (art. L.112-1 du CPI).

 

Le CPI ne définit pas ce qu’est une oeuvre de l’esprit. Selon la jurisprudence une oeuvre doit être originale pour être protégeable, c’est-à-dire traduire “la personnalité de l'auteur” (Cass. 1ère civ., 13 nov. 2008, n° 06-19.021) ou “un effort créatif” (Cass. 1ère civ., 24 oct. 2018, n° 16-23214), notions souvent mêlées en jurisprudence. Le créateur peut ne pas avoir exécuté l’oeuvre personnellement (Cass. 1ère civ., 13 nov. 1973, n° 71-14.469).

 

L’originalité d’une oeuvre est appréciée souverainement par les juges (Cass. 1ère civ., 2 mars 1999, n° 97-10179), ce qui donne lieu à une disparité dans la reconnaissance de l’originalité.

 

La jurisprudence aux États-Unis

 

 

En France, il suffit qu’un auteur ait créé une oeuvre originale pour être protégé par le droit d’auteur, sans autre formalisme. Aux États-Unis, le copyright s’acquiert après enregistrement de l’oeuvre par le Copyright Office.

 

Récemment, celui-ci a eu à statuer sur des oeuvres générées par intelligences artificielles ("IA"). L’enregistrement a été refusé à A Recent Entrance to Paradise (14 février 2022) et Théâtre D’opéra Spatial (5 septembre 2023) au motif que la proportion de contenus générés par l’IA était trop importante au regard de l’intervention humaine mais a été accordé à la bande dessinée Zarya Of The Dawn (21 février 2023) au motif que bien que les images aient été générées par MidJourney, leur arrangement, les textes et le scenario sont humains.

  

 

La jurisprudence en Chine

 

En Chine, le 28 novembre 2023, la Beijing Internet Court s’est prononcée dans l’affaire Li v. Liu. M. Li avait créé l’image Spring Breeze Brings Tenderness en utilisant Stable Diffusion puis s’était aperçu que Mme Liu l’avait utilisée sur son blog, après avoir retiré toute référence à M. Li. Celui-ci a alors assigné Mme Liu pour avoir violé son droit d’auteur.

 

La Beijing Internet Court a considéré que l’oeuvre reflète l’expression personnelle de l’auteur, qu’elle est donc originale et protégée à ce titre. Elle a notamment retenu que l’auteur avait entré plus de 150 instructions textuelles (prompts), avait sensiblement modifié l’image plusieurs fois avant le résultat final et prouvait pouvoir réitérer son oeuvre via les mêmes instructions.

 

 

L'affiche de Roland Garros

 

Pour créer l’affiche de Roland-Garros 2024, Paul Rousteau a expliqué avoir utilisé un prompt sur l’impressionnisme qu’il avait trouvé en ligne, tout en ajoutant des informations sur l’idée qu’il avait en tête. Il a précisé qu’il avait ajouté la tour Eiffel, la balle de tennis au lieu du soleil et le terrain de tennis sur la Seine en utilisant Photoshop puis qu’il a finalement tout retouché à la main avec une palette graphique, pour créer une image en haute définition.

 

Il a ajouté que selon lui, un tiers du travail, une moitié au maximum, est le fruit de Midjourney.

 

Au-delà de l’aspect juridique, cette affiche s’inscrit dans un débat plus large sur la collaboration entre humains et machines.

 

Réflexions prospectives

 

Les intelligences artificielles génératives sont au cœur d’enjeux, y compris dans le domaine sportif.

 

En l’état de la législation, une IA seule ne semble pas pouvoir être considérée comme auteur au sens du CPI (art. L.113-1 du CPI) et les juridictions françaises n’ont pas encore eu à se prononcer sur l’application des règles relatives au droit d’auteur à une oeuvre générée par ou avec l’intelligence artificielle.

 

Il nous semble donc qu’une oeuvre qui serait générée exclusivement par une IA ne saurait prétendre à la protection du droit d’auteur, à l’inverse d’une oeuvre qui serait générée avec une IA mais qui traduirait néanmoins de manière suffisamment importante la personnalité et l’effort créatif de l’auteur, par exemple par ses instructions, ses retouches ou l’arrangement final.